Pipoetic justice.
“Wow, 30 000 likes ? Ce post doit vraiment être passionnant.”
C’est l’histoire d’un career manager qui quitte un jour le bureau à 13h. Il a l’élégance d’en informer son équipe, le matin même.
Pas de subterfuge, de chat malade ou de rendez-vous fictif chez le médecin. Il est honnête: il s’absente pour retrouver sa fille qui doit recevoir un prix à l’école.
Et vous savez pourquoi il a dit la vérité ? Parce qu’il est humain.
En tant que leader (humain, mais leader quand même), il ne cherche pas à impressionner, mais à être authentique.
Il invite sa communauté à faire de même, avant de poser la question fatidique: et vous, pensez-vous aussi que l’authenticité soit une bonne chose ?
“Tu devrais être plus actif sur LinkedIn.”
Il n’y a pas un jour qui passe sans que je reçoive ce conseil.
Le réseau social professionnel est la solution-tout-en-un chérie des marketeurs, créateurs de contenu et entrepreneurs du web.
Pas assez de clients ? Prospectez sur LinkedIn.
Vous voulez lancer un blog ? Commencez par publier sur LinkedIn.
Vous cherchez du travail ? Soyez actif sur LinkedIn.
Et ils ont raison. La portée des publications rappelle les beaux jours de Facebook, la communauté est plutôt bienveillante et les professionnels y font de belles rencontres.
Mais il y a un truc qui m’échappe… et me dérange.
Un nouveau style de storytelling.
Vous êtes forcément tombé sur une publication de ce genre...
Des milliers de likes et des centaines de commentaires.
Une 1re phrase “choc” et vague.
Des paragraphes d’une seule ligne.
Des phrases courtes et espacées qui causent des crises d’épilepsie chez le lecteur.
Des anecdotes personnelles insignifiantes qui font office de vérités universelles à propos de la condition humaine.
Une question rhétorique à la fin.
Souvent, il s’agit d'un CEO, d'un cadre ou d'un manager qui raconte sa vie, ou plutôt certaines anecdotes bien choisies de sa vie, pour montrer à quel point il est humain.
Mais aussi à quel point sa vision de la vie est la bonne, parce qu’il est parti de rien et transforme tous les échecs en apprentissages.
A l’origine: la broetry.
Les anglophones appellent ce drôle de phénomène broetry, contraction entre bro (frère) et poetry (poésie).
C’est un style de publication immédiatement reconnaissable. Il ne date pas d’hier. Aux USA, les marketeurs ont tellement tiré sur la corde de la broetry ces dernières années que les utilisateurs ont été obligés de contre-attaquer. Leur arme ? La moquerie.
Des groupes recueillent les meilleurs broems et les plus vaillants soldats bombardent les publications concernées d’hashtags broetry.
Quand vous êtes étiqueté broet, vous perdez toute crédibilité.
Le père de la broetry: Josh Fletcher.
Le père de cette nouvelle façon de raconter des histoires s’appelle Josh Fletcher.
Et dans une interview accordée à BuzzFeed, il a bien voulu partager le secret de sa réussite: "ne surestimez pas l’intelligence de vos lecteurs, n’utilisez qu’un ou deux adverbes et soyez connu pour ça.”
Ah.
Et si on appelait ce nouveau genre: la pipoésie ?
C’est ma proposition pour désigner ce phénomène relativement nouveau dans l’histoire humaine. Une contraction entre pipeau et poésie.
Proche du terme anglais. Ce serait sa version française.
Parce que le style ressemble à de la poésie mais on sait toutes et tous que c’est du pipeau.
Pourquoi lutter contre la “pipoésie” ?
Parce que c’est chiant.
Parce que c’est une mode.
Parce qu’il n’y a pas de façon bienveillante et constructive de licencier quelqu’un sur-le-champ.
Parce qu’on ne veut pas savoir que votre vie ou votre bureau fait rêver, que vous l’aviez oublié mais qu’un ami criait son admiration et ça vous a rappelé le chemin parcouru.
Parce qu’on connaît déjà l’histoire du verre à moitié plein ou à moitié vide.
Parce que non, un saut en parachute n’est pas une métaphore de la vie de freelance.
Parce qu'il existe d'autres degrés dans la vie que le 1er.
Parce qu’aucune bonne histoire n’est composée des mots (en majuscule pour le côté dramatique) TOUJOURS, JAMAIS, RIEN ou TOUT.
Surtout, parce que vous êtes ce que vous écrivez.
Chaque mot que vous publiez aujourd’hui sur vous définira demain.
Je ne sais pas pour vous, mais personnellement, je n’aimerais pas qu’on se rappelle de moi comme un pipoète.
Comment lutter contre la pipoésie ?
Je ne vais pas vous demander de bombarder les posts en questions d’un #pipoésie. Même si j’avoue que ce serait marrant.
Il suffit de ne pas écrire de pipoésie. Et d'être patient. Un jour, ça passera comme c’est venu. Et on se rappellera de la Société des Pipoètes Disparus avec humour.
A la limite, si vous aussi, la pipoésie vous irrite, partagez cet article avec vos connaissances et sur LinkedIn.
Et sinon, pensez-vous aussi que la vérité est préférable au mensonge ?
Loris.
Copywriting français.
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