Maty Huitrón par Nacho Lopez, 1955.
Imaginez être à la place d'un chef de produit dont la mission est de lancer un nouveau soda sur le marché des boissons gazeuses et sucrées.
Votre concurrent principal, c'est Coca-Cola.
Pour réaliser cet exploit, voire ce miracle, deux choix s'offrent à vous.
Vous faites preuve de bon sens et vous optimisez chaque étape de votre marketing en suivant scrupuleusement toutes les méthodes apprises à l'école, dans les livres ou sur internet.
Vous faites le contraire absolu de ce que tout le monde vous dit et des résultats de votre étude de marché.
Pour que l'entreprise adhère à votre stratégie, vous devez la faire valider par vos supérieurs ou, encore pire, par un groupe d'investisseurs.
Option 1: le marketing logique.
Vous préconisez...
de trouver une formule proche de celle du Coca, mais améliorée,
de vendre 5 à 10% moins cher que la concurrence,
de collaborer avec des célébrités du milieu du spectacle.
Cette stratégie a été utilisée par Pepsi, l'éternel no 2. Mais aussi par Virgin Cola, qui a mis la clé sous la porte.
Option 2: le marketing illogique
Cette fois-ci, vous préconisez...
de trouver une formule à la couleur jaune et au goût radicalement opposé au Coca,
de vendre à un prix supérieur à celui de la concurrence,
de présenter le produit dans des canettes plus petites que la moyenne.
Sous les yeux ébahis des gens autour de la table, vous esquissez un sourire en repensant à la fois où vous avez demandé à l'un de vos proches de goûter à cette nouvelle boisson et qu'il vous a répondu: "même si tu me payais, je ne boirais jamais de cette pisse."
Vous présentez le résultat unanime d'un test à l'aveugle mené auprès de participants volontaires: une boisson affreusement dégueulasse.
Cette stratégie a été adoptée par Red-Bull, près de 8 milliards de canettes vendues dans le monde en 2020.
Qu'est-ce que le marketing ? Des définitions qui donnent le tournis.
Sur le site Définitions Marketing, on peut lire que...
Le marketing peut être classiquement défini comme l'ensemble des actions ayant pour objectifs d'étudier et d'influencer les besoins et comportements des consommateurs et de réaliser en continu les adaptations de la production et de l'appareil commercial en fonction des besoins et comportements précédemment identifiés. (définition adaptée de celle du journal officiel définissant la mercatique).
Ooook.
Ce n'est pas facile de définir simplement un concept aussi complexe que celui du marketing en voulant être à la fois précis et exhaustif.
Cela dit, à la lecture de ces quelques lignes, on a l'impression d'avoir affaire à une discipline qui requiert un doctorat.
Pour Larousse, le marketing regroupe l’...
ensemble des actions qui ont pour objet de connaître, de prévoir et, éventuellement, de stimuler les besoins des consommateurs à l'égard des biens et des services et d'adapter la production et la commercialisation aux besoins ainsi précisés.
Cet ensemble est souvent désigné par les 4P, à savoir…
Politique de produit.
Politique de prix.
Politique de communication.
Politique de distribution.
Je ne sais pas vous, mais moi, j'ai un mal de crâne pas possible.
Une dernière pour la route, celle de Wikipedia.
Le marketing, ou la mercatique, est un ensemble de techniques de ventes et leur mise en oeuvre.
Cette définition est loin d'être mauvaise. Déjà, elle parle de vente. Mais aussi de techniques. Et puis, le mot mercatique me fait planer.
Ces grandes lois du marketing qui n'existent que dans la tête des théoriciens.
Quand je suivais des cours de marketing, le conférencier commençait souvent par ce genre de définitions.
En d'autres termes, par de la théorie plutôt que par de la pratique. En prenant soin d'illustrer ses propos par quelques exemples qui affirmaient ses dires tout en omettant tous ceux qui prouvaient que le contraire est aussi vrai.
Le marketing est l'un des seuls domaines où, quand une pratique fonctionne, la pratique opposée peut fonctionner encore mieux.
Par exemple, quand un produit ne se vend pas, un marketeur lambda va suggérer de baisser le prix.
Pas besoin d'avoir fait des années d'études pour avoir ce genre d'idées.
Surtout que si, en théorie, ça paraît logique, en pratique, c'est souvent la pire des choses à faire.
Un véritable professionnel va vous dire, au contraire, d'augmenter le prix du produit et va chercher différentes manières de changer la perception des consommateurs.
On peut dire que le marketing consiste à identifier la solution illogique et peu coûteuse qui va faire une grande différence dans la tête des consommateurs.
Le Walkman de Sony ou quand le moins est un plus.
Quand les ingénieurs de Sony ont créé le Walkman, ils y ont inclus un enregistreur vocal.
La technologie étant connue et maîtrisée depuis bien des années, pourquoi ne pas l'ajouter à l'appareil ? L'utilisateur aurait eu le choix entre écouter de la musique et enregistrer du son.
Logiquement, c'est un bonus non négligeable.
Quand l'équipe marketing a demandé de supprimer cette fonctionnalité, les ingénieurs n'en croyaient pas leurs oreilles.
L'histoire a montré que c'est l'équipe marketing qui avait raison.
Que penserait le public d'un appareil qui a plein de fonctionnalités différentes ? Qu'il peut tout faire mais qu'il n'excelle dans aucune d'elles.
Si le produit se concentre sur une seule fonctionnalité, le public aura l'impression qu'il le fait mieux que tous les autres sur le marché.
Moins de coûts de production, plus de gains financiers.
Rory Sutherland: une vision différente du marketing.
Rory Sutherland est le vice-Président d'Ogilvy. Ses conférences sont disponibles gratuitement sur YouTube. Si vous comprenez l'anglais, je vous conseille de les écouter.
Vous allez vous régaler, c'est un orateur hors pair.
Sa vision du marketing est à l'opposé de ce qu'on peut apprendre dans les livres ou dans les grandes écoles.
Il encourage la créativité et la pensée illogique pour trouver le petit détail qui ne coûte quasi rien et qui fera toute la différence.
Souvent, ce détail est une question de perception.
Changer la perception du produit plutôt que le produit. Un peu comme l'avait fait malicieusement Shreddies.
On pense que seules les grandes actions mènent à de grands résultats. C'est souvent vrai mais c'est aussi souvent coûteux.
Pour Rory, le job d'un marketeur est d'obtenir le maximum de résultats avec le minimum de coûts.
L'hôtel qui doit son succès à son bouton d'ascenseur.
Si un directeur d'hôtel vous demandait quelles actions il pourrait entreprendre pour attirer plus de visiteurs, vous lui diriez sûrement de refaire le hall d'entrée, de moderniser les chambres ou encore d'agrandir la piscine extérieure.
Le montant des travaux s'élèverait à plusieurs dizaines ou centaines de millions d'€.
C'est ce qu'a fait le Lydmar Hotel de Stockholm pour attirer plus de clients.
Au milieu des changements titanesques, un employé a soufflé l'idée d'ajouter un bouton d'ascenseur d'un genre particulier: il permet aux clients de choisir leur musique entre deux étages.
Ce petit bouton, qui a dû coûter une centaine d'€ à installer, a offert à l'hôtel une publicité gratuite dans le monde entier.
Les clients en ont parlé à leurs amis. Les magazines spécialisés ont créé des articles dédiés au bouton.
Personne n'a parlé du hall d'entrée, ni même des chambres ou du bar de l'hôtel.
Les touristes viennent essayer l'ascenseur. Et puis, vu qu'ils sont sur place, ils réservent une ou plusieurs nuits.
La seule définition valable du marketing.
Dans son livre Alchemy, Rory Sutherland enchaîne les exemples du genre, tous plus fascinants les uns que les autres.
Un jour, une entreprise ferroviaire sollicite ses conseils. Elle est sur le point de dépenser 6 milliards d’€ en travaux pour diminuer le temps de trajet entre Paris et Londres de 30 minutes.
Le but est d'améliorer l'expérience des clients.
Rory, plaisantant à moitié, propose une alternative bien moins coûteuse. Elle ne demanderait qu'1 ou 2 millards d'€: employer des mannequins qui serviraient du Dom Pérignon à volonté à chaque passager durant les 100 prochaines années.
Les passagers n'auraient alors qu'un regret: que le temps de trajet ne soit pas plus long.
Pour Rory Sutherland, le marketing c’est l’art et la science de comprendre ce qui échappe aux économistes.
Quand on goûte avec tout sauf avec la bouche.
Un jour, le secrétariat de la chocolaterie anglaise (quelle idée!) Cadbury s'est transformé en bureau des plaintes.
Les aficionados de la barre dairy milk étaient certains que la recette originale avait été remaniée.
L'équipe marketing était abasourdie: aucun ingrédient n'avait été changé, seule la forme de la barre avait été modifiée.
Les extrémités ont été arrondies. Résultat ? Les consommateurs étaient certains que le goût était plus doux.
Ils goûtaient avec les yeux plutôt qu'avec la bouche.
Le père de la sémantique générale, Alfred Korzybski, l'avait bien compris.
Il est connu pour avoir déclaré: "la carte n'est pas le territoire".
Une fois (et une seule, heureusement), il a voulu le prouver à une audience. Il a sorti de son sac un paquet de biscuits. L'emballage était soigné. Il a proposé des cookies aux personnes du 1er rang.
Elles se sont régalées.
Le vieux briscard a ensuite révélé l'emballage original de la boîte. Il y avait l'image d'un chien. Et une phrase: "dog cookies".
Certains ont vomi.
Ces quelques expériences ont servi de leçon à l'entreprise américaine Craft. Quand elle a remplacé le colorant chimique de son fameux Mac&Cheese par des épices naturelles, elle a réfléchi à deux fois avant d'avertir les consommateurs.
Un marketeur rationnel aurait conseillé de mettre en avant ce changement.
Il était minime.
Le goût ne changeait pas.
C'était meilleur pour la santé.
L'entreprise a eu la bonne idée de faire appel à l'agence Crispin Porter + Boguski, qui a conseillé de passer sous silence le changement, puis de le dévoiler de manière rétroactive.
Après une période d'attente, Craft a annoncé à ses clients que le colorant avait été remplacé par un mélange d'épices naturelles il y a de ça quelques mois.
Résultat ?
Ceux qui mangeaient déjà leur Mac&Cheese étaient aux anges: non seulement ils n'avaient rien remarqué, mais ils étaient heureux de savoir que la merde industrielle qu'ils ingurgitaient n'était pas aussi merdique qu'ils le pensaient.
Quant à ceux qui ne mangeaient pas le Mac&Cheese de Craft à cause du colorant chimique, ils pouvaient désormais goûter au produit sans culpabiliser.
Conclusion: n’ayez pas peur d'être illogique.
En tant qu’Italien résidant en Suisse, ça a été difficile de parler de chocolat anglais et de pâtes américaines.
L’idée c’était de montrer qu’on aborde généralement la pratique du marketing comme une série d’actions méthodo-logiques à mener de front.
Quand vous imitez ce qui semble fonctionner pour les autres, vous vous attendez à ce que ça fonctionne pour vous aussi.
Logique.
En réalité, au pire vous échouez lamentablement, au mieux vous accomplissez ce que les autres ont bâti avant vous.
Toute création comporte une part de folie. C’est ce qui la rend attirante.
Et quand elle ne coûte pas trop cher et rapporte beaucoup, on peut appeler ça du marketing.
Bref, comme le dit Rory Sutherland...
Si la logique était sexy, les chippendales seraient déguisés en comptables, pas en pompiers.
Loris.
Copywriting français.
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